Thierry Lévy: Un des derniers intellectuels du barreau s’en va
TELQUEL – Le 13 février 2017
Par Abdallah Benzekri, avocat au Bureau de Casablanca.
Le 30 janvier 2017, la mort soudaine de Thierry Lévy, avocat de renom, s’est propagée rapidement parmi ceux qui l’on connu. Gens de droit, parce qu’il était un des leurs, gens de lettres et philosophes de tous bords, parce qu’il était aussi un des leurs.
Inclassable Thierry Lévy, ni parfaitement de gauche, surtout pas de droite, mais, la défense des droits dans la peau, il fut l’un des Ténors de sa génération, avec Robert Badinter, autre figure brillante du monde judiciaire, Jean Denis BREDIN et Jean Marc VARAUD. Des avocats pour l’histoire.
Plaideur redouté des prétoires et contradicteur farouche, séance tenante, au tac au tac, avec son style de charcutier des mots, il coupait le juste mot, ni plus ni moins, mais le mot qui rétablit un droit ou dénonce une injustice. Aucun juge ne résistait à l’argument évident, tellement bien dit et qui faisait mouche a tous les coups.
Convaincre était son maître mot. Il en avait fait un excellent livre avec son ami Jean Denis BREDIN, où les deux auteurs se donnaient à un exercice inédit de questions-réponses sur l’art oratoire et ses origines.
Archéologue de la machine judiciaire, le premier, avec Robert Badinter et récemment Eric Dupond-Moretti, à avoir dénoncé la position trop confortable de l’accusation dans un procès pénal et en a fait un réel déni de justice, contre les droits fondamentaux de l’accusé : droit à la présomption d’innocence, droit à un procès équitable, dans toutes ses étapes, de la constations et consignation des faits jusqu’à leur exploitation. Voici une dérive constante, tant décrié par lui, sans être évidente pour ses confrères, mais qui semble être en définitive une déformation de naissance qui touche de démocratie judiciaire.
Observateur hors pair des tendances modernes de la justice, il a le premier mit le doigt, dans son redoutable petit livre : « Eloge de la Barbarie Judiciaire », sur une véritable dérive de la justice moderne : le fait d’avoir décrété qu’il existait un droit spécifique pour les victimes, alors que la qualité de victime ne se décrète pas et ne peut résulter que d’un jugement départageant un plaignant et un accusé. Au risque dangereux de confondre la vérité et la souffrance, dans un procès pénal, le banc est pour les parties civiles et non pour les victimes.
Avec une grande finesse dans l’analyse, Thierry Lévy rétablit l’ordre des choses et en finit définitivement avec l’amalgame ambiant entre le statut de victime ou de « souffrant social » et la justice. Avant que la justice ne le décide, on n’est forcément ni victime ni bourreau, simplement par ce que le procès ne rétablit pas l’ordre social, mais juste la justice.
Chapeau !
Hommage vibrant donc à cet avocat et intellectuel hors pair.